Joseph Le Torriellec (1893-1969) – 1ère partie

Joseph était blond et petit. Il savait lire et écrire. Il a fait la bataille de la Marne, puis celle de la Somme. Il a été blessé, malade, évacué plusieurs fois. Il sera cité à l’ordre du régiment comme un « soldat brave et courageux « . Il recevra son certificat de bonne conduite et sera proposé pour la médaille militaire.

Il a été bûcheron, puis cantonnier. Il a eu trois enfants dont ma merveilleuse grand-mère.

La forêt de Camors

Joseph est né le 28 janvier 1893 à Lann-Vréhan dans la commune de Baud. Tous les Le Torriellec, depuis des générations, sont nés dans cette région. Lambel, Quinipily, Lann-Vréhan, de pères en fils, ils sont bûcherons ou scieurs de long dans les forêts profondes autour de Baud et de Camors. Ce sont d’immenses forêts mystérieuses qui cachent des pierres étranges et des arbres magiques. On dit que ces forêts seraient peuplées de Korrigans, petits lutins malicieux, tour à tour bienveillants ou malveillants. La légende raconte même que la forêt de Camors était le domaine de Barbe Bleue qui y aurait régné en maître aux environs du VIème siècle. Entre les dolmens et les menhirs se dressent de hauts chênes, d’immenses châtaigniers, des hêtres et des sapins.

Les habitants de la région vivaient essentiellement de la forêt. Ils étaient bûcherons, scieurs de long, sabotiers, faiseurs de balais, charbonniers… Il y eut jusqu’à deux cents bûcherons et quatre-vingt-dix sabotiers au coeur de cette forêt.

Les Le Torriellec sont des scieurs de long. Joseph, comme son père Louis, comme son grand-père Jean-Baptiste, comme tous ses oncles et grands-oncles, avant d’aller faire la guerre, est d’abord scieur de long.

Le terme générique de « scieur de long » recouvre plusieurs professions dont l’origine est pluri-millénaire, même si c’est depuis le XVe siècle qu’ils sont reconnus comme une profession à part entière. Les scieurs de long travaillent en équipes de deux. Ils sont chevriers ou renardiers, celui qui se trouve en haut de l’échafaudage se nomme « chevrier », celui qui est en dessous se nomme « renard ». Ce dernier protège ses yeux de la sciure par un vieux sac ou un grand chapeau. Ainsi, le chevrier monte sur le tronc et tire la scie vers le haut. Le renardier scie en redescendant. Ils débitent de longues pièces de bois dans le sens du fil pour obtenir des planches, des plateaux, des poutres, parfois des traverses de chemins de fer.

Leur outil principal était une grande scie à cadre, la niargue, maniée à deux.

Scieurs de long (Archives sur le métier de scieur de long à la Scierie des Planches)

Le métier a disparu au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale avec l’industrialisation et l’apparition de la tronçonneuse et du camion permettant de transporter les billes à la scierie.

Les scieurs de long avaient souvent en parallèle des exploitations agricoles. Durant la bonne saison, ils s’occupaient de la ferme. Ils devenaient laboureurs. A la saison morte, quand le travail se faisait rare, ils partaient travailler à la forêt.

« Les parents vivaient près des coupes de bois dans des loges dans la forêt. Ils travaillaient du matin au lever du jour à la nuit tombée ».

Journal de ma grand-mère

Les ancêtres Le Torriellec

Le patronyme Le Torriellec est porté exclusivement dans le Morbihan. Il se rattache – faute de mieux – à l’ancien français torreil (=verrou) et signifie ‘serrurier’, même si je n’en ai trouvé aucun dans mon arbre. Mais Le Torriellec, eux, travaillent le bois. Il sont tous scieurs de long, bûcherons, boisiers, gardes particuliers des bois et forêts.

Les variantes se constituent autour d’un ou deux R, d’autant de L et parfois de l’insertion d’un V (Le Torriellec, Le Toriellec, Le Torrivellec au fils des années et et à la guise des curés de la paroisse dont l’orthographe est parfois fantaisiste).

Ainsi, Yves Le Torriellec, né vers 1757, se marie Le Torriellec et meurt Le Torrielec en emmenant un L avec lui dans la tombe. Son fils Mathurin, né en 1795, gardera toutes ses lettres toute sa vie. Mais son fils Jean-Baptiste né en 1817, portera un R à sa naissance, deux à son mariage et empruntera même un V à sa mort alors même que ses propres fils venus déclarer le décès possédaient bien les deux R. A sa suite, Louis né en 1855, puis notre Joseph né en 1893, garderont l’orthographe du nom tel qu’il nous a été légué.

Descendance Le Torriellec (l’orthographe définitive est conservée)

Je remonte les Le Torriellec jusqu’au début du XVIIIè siècle. L’orthographe du nom ne s’est fixé qu’au cours du milieu du XIXè siècle. Avant cette époque, le patronyme varie à une ou deux lettres près, ce qui peut paraître très anecdotique mais ce qui constitue en réalité une difficulté importante lorsque l’on parcourt les registres BMS (baptême-mariage-sépulture) de plusieurs communes, où la paléographie est obscure et l’orthographe des curés hésitante, à une époque où les personnes concernées ne sachant pour la plupart ni lire ni écrire, ne pouvaient pas corriger les erreurs qui étaient portées dans les registres.

Ainsi, je ne découvre l’existence de Vincent Julien, le plus ancien de mes Le Torriellec, que dans l’acte de décès de son fils, Yves, en 1847, dans lequel il est dit qu’il est le fils de Julien, alors même que dans son acte de mariage, quelques années plus tôt, il avait été dit qu’il était le fils de Vincent. Notons toutefois qu’il était usuel à cette époque de changer de prénom pour se distinguer les uns des autres et d’utiliser par exemple son deuxième prénom plutôt que son prénom de baptême. Il n’est donc pas étonnant de voir plusieurs prénoms pour une même personne.

Yves (1757-1847), le fils de Vincent Julien, étaient tailleur d’habits à Baud. Il a eu au moins quatre enfants.

Mathurin (1795 – 1866) est, à ma connaissance, le seul enfant d’Yves ayant atteint l’âge adulte et c’est celui qui fait entrer la famille au cœur de la forêt. Il sera boisier (autre terme pour désigner le scieur de long) et garde particulier des bois de Quinipily, situé au Nord de la forêt de Camors. Les gardes particuliers sont commissionnés par les propriétaires forestiers pour la surveillance de leurs biens. Depuis 1791, les gardes des bois ont acquis le statut d’officier de police judiciaire. Ils portent le bicorne, puis le képi. Au bras gauche, ils ont un brassard ou une plaque en laiton portant les inscriptions des mots LA LOI et le nom du comettant. Mathurin était donc chargé des bois de Quinipily au cœur desquels trônait la Venus de Quinipily (photo plus haut), statue antique, source d’intrigues aux yeux des habitants. Objet d’un culte païen, plusieurs fois jetée à la rivière, mutilée, elle est réputée apporter la fertilité. Sans doute Mathurin a dû-t-il faire face à nombre de couples importuns venus vouer un culte à la statue.

Mathurin a eu neuf enfants. Trois d’entre eux sont morts très jeunes. Ses fils, Jean-Baptiste, Antoine, François et Jean sont tous les quatre devenus scieurs de long. Ses filles, Marie-Louise et Marie-Françoise, elles, se sont mariés avec des scieurs de long.

Jean-Baptiste (1817-1893), son fils aîné, se marie à l’âge de 29 ans, en 1846, avec Marie Perrine LE LUEC. Les parents de Marie Perrine, ses grands-parents et au-delà jusqu’à au moins cinq générations plus haut, sont rouyers, charrons et charpentiers. Tout ce petit monde est né à Camors et gravitent autour de la forêt. Jean-Baptiste travaillera successivement comme scieur de long à Lambel, puis à Lann-Vréhan. Marie Perrine est cultivatrice. Elle s’occupe des terres pendant que son mari tombe les arbres. Ensemble, ils auront au moins 5 enfants. Les trois garçons, Joseph, Constant et Louis seront scieurs de long.

Louis est l’avant-dernier de la fratrie En 1875, il a 20 ans. Il est petit, comme le sera son fils Joseph et après lui, sa petite-fille. Il mesure 1m57. Il est châtain, il a les yeux gris et des tâches de rousseurs, la marque des Le Torriellec qui jamais ne sauront bronzer. Il est catholique bien sûr. Il appartient à la classe 1875 du bureau de Lorient (numéro de matricule 631). En ce temps-là, la durée du service militaire est généralement de 5 ans selon la méthode du tirage au sort. Louis s’en est effectivement pris pour 5 ans. Il a d’abord fait ses classes à Lorient, puis il est parti pour le 114ème d’infanterie le 20 décembre 1876. Depuis l’armistice franco-allemand de 1871, le 114è RI est d’abord regroupé à Paris, puis à Saint-Maixent-l’Ecole. En juillet 1878, Louis est promu de soldat de 1ère classe. Il ne sera placé en congé que cinq années après son incorporation le 4 octobre 1880 en attendant son passage dans la réserve de l’armée active qui aura lieu le 1er juillet 1881. Au terme de son service militaire, il a reçu un certificat de bonne conduite.

A son retour de l’armée, Louis reprend sa place au sein de la famille et, comme ses frères, comme son père avant lui, il sera scieur de long à Lann-Vréhan. Il se marie avec Marie LE PRIOL en 1891 à Baud à l’âge de 36 ans. Son père, le vieux Jean-Baptiste, a 74 ans. Ça fait quelques temps qu’il n’a plus la force d’aller dans la forêt mais il assiste au mariage de son fils, présent et consentant. Malheureusement, sa mère, Marie Perrine Le Luec, est décédée quatre années plus tôt. Ses frères sont là eux aussi, et c’est même les deux aînés, Constant et Joseph, qui seront ses témoins. Son épouse, Marie, est beaucoup plus jeune. Elle a 23 ans. Elle est née à Baud mais elle habite Saint-Barthélemy, une petite commune limitrophe. Quand elle se marie, elle est domestique, comme il est de tradition dans les familles modestes. Les jeunes filles sont en effet souvent placées comme bonnes à tout faire dans des fermes alentours pour ramener quelques sous au foyer avant d’être mariée. La famille Le PRIOL, très ancrée dans la région de Baud, est essentiellement constituée de cultivateurs.

Louis et Marie se marient donc le 3 février 1891. A peine neuf mois plus tard, le 26 octobre, naît une petite Marie-Louise qui malheureusement décédera à l’âge de 5 mois.

Deux ans après la mariage, en 1893, naît Joseph Marie, mon arrière-grand-père.

A cette époque-là, Louis et Marie habitent toujours à Lann-Vréhan dans la commune de Baud. Mais bientôt, ils déménageront à Lambel à Camors.

En 1896 à Camors, naît Jean Marie, l’oncle de Saint-Nazaire, « pépé » qui partagea sa loge et sa scie au fond des bois avec son frère, puis qui entra aux chemins de fer.

Puis, deux ans plus tard, en 1898 c’est Marie-Mathurine, la tante Marie, qui se mariera deux fois, d’abord avec Thomas Cano, puis avec Charles Béton. La tante Marie ira vendre des vêtements sur les marchés Vernon.

Dans les carnets de ma grand-mère, elle cite deux autres enfants, l’oncle Auguste et l’oncle Louis qui iront vivre près d’Argentan dans l’Orne. Après de longues recherches en ligne, j’ai failli me résoudre à ne rien trouver sur Louis et Auguste, juste ces quelques lignes dans un carnet écrit en 1999 et une ou deux photos, minuscules, avec les bords côtelés, prises de loin dans les années 30 ou 40. Louis, m’avait-on dit, était carrier à Ecouché. Mais je n’avais pas davantage de renseignements jusqu’à ce jour, où écrivant cet article, je tire un fil qui m’amène jusqu’à Pluvigner, 10 kilomètres plus bas, où Auguste est né en 1901. Auguste a été résistant dans les forces françaises combattantes (FFC). Il en a été récompensé pour services rendus à la Nation pour faits de résistance.

A la naissance d’Auguste en 1901, Louis a déjà 45 ans mais Marie n’en a que 34. Il est tout à fait possible que l’énigmatique oncle Louis soit né après 1901. Car il n’y a pas encore d’archives en ligne sur Pluvigner après 1901 et Camors devient lacunaire après 1908. A ce jour, malheureusement, je n’ai trouvé aucune trace de l’oncle Louis, tout juste une vieille photo sur laquelle il pose bras dessus bras dessous avec une mystérieuse Hélène.

De Baud à Camors, en passant par Pluvigner, 10 kilomètres au sud. Louis exerce toujours la profession de scieur de long. Marie, avec 5 enfants, est ménagère. Louis n’a jamais su ni lire ni écrire. Il n’a signé aucune des déclarations de naissance de ses enfants. Il mourra aux alentours de 1925. Sa petite-fille s’en souviendra avec ses mots :

« De ma petite enfance, je n’ai que peu de souvenirs. Un seul m’a marquée. C’était l’enterrement du grand-père Le Torriellec qui est mort à Locoal-Mendon près de Camors. Sa tombe est toujours là-bas. Il fut le premier mort enterré dans le cimetière et la municipalité lui a donné une concession à perpétuité. Je me souviens que l’on m’avait fait une robe en velours (bleue, je crois) ».

Joseph

Joseph est né un samedi d’hiver, à Lann-Vréhan, au tout début de l’année 1893, un 28 janvier à 3 heures du matin. Sa mère, Marie Le Priol, a déjà perdu une petite fille, Marie Louise. Joseph sera l’aîné de la fratrie.

Joseph Le Torriellec – Acte de naissance 1893

Il aura trois frères et une sœur, Jean-Marie, Marie Mathurine, Auguste et Louis.

Baud en 1893 est une grosse bourgade qui regroupe à l’époque plus de 4 700 habitants. Sur le monument aux morts de Baud construit en 1923, on trouve le nom Le Torriellec par deux fois. Jean Marie et Jean Mathurin, deux frères, cousins de Joseph, sont tombés pour la France lors de la Grande Guerre. Pauvre mère ! D’ailleurs, ce monument aux mort diffère de ceux que l’on a l’habitude de voir car il ne représente pas un poilu chargeant l’ennemi, baïonnette au canon. Les bas-reliefs montrent les adieux avant le départ à la guerre et le départ du train pour le front. Ils montrent le déchirement des familles, l’adieu aux soldats qu’on sait ne jamais revoir et qui seront enterrés anonymement sous des tonnes de boue.

Lann-Vréhan est un tout petit lieu-dit, perdu au milieu de rien, plus près de Camors que de Baud et où subsistent encore aujourd’hui quelques habitations le long d’une route départementale sinueuse.

Joseph a passé sa petite enfance à Lann-Vréhan. A l’âge de 3 ans, lorsque son petit-frère, Jean (l’oncle de Saint-Nazaire) naît, les parents ont déménagé à Lambel, 4 kilomètres à l’ouest. Ils y demeureront quelques années, le temps d’attendre l’arrivée de la petite-soeur Marie-Mathurine (la tante Marie) en 1898. Trois ans plus tard, en 1901, le Petit Auguste voit le jour à Mané-Cümun, un minuscule lieu-dit rattaché à Pluvigner mais éloigné de Lambel de 3 kilomètres au sud. Louis fait le tour de la forêt. Il parcourt les bois, sa scie dans une main et sa famille de l’autre.

Joseph est allé à l’école, un cahier dans une main et une scie dans l’autre. Il a appris à lire et à écrire mais à Camors, on est au pays des bûcherons. Les enfants bûchent un crayon pour cognée et un cahier pour scie. Joseph est sans doute l’un des premiers de la famille à apprendre à lire. L’ascenseur social prend son départ…

Sans doute parle-t-on breton à la maison, plus précisément le breton vannetais et le dialecte du haut-vannetais. Mais Joseph a appris le français, au moins à l’école, si ce n’est à la maison. La IIIème République soucieuse d’assurer l’unité française, a proscrit l’usage de tous les patois à l’école à partir du milieu du XIXème siècle. Le breton est même appelé yezh ar moc’h « la langue des oies et des cochons ». En 1902, Joseph a 9 ans et le ministre de l’intérieur et des cultes vient de promulguer l’interdiction de « l’usage abusif du breton. » Le breton ne sera plus enseigné dans les écoles même s’il continuera en réalité à être transmis de génération en génération par voie orale. Mais officiellement, le français doit être la seule langue utilisée dans les écoles républicaines, y compris dans les cours de récréation. On dit même que les règlements des écoles édictaient : 1° ne pas cracher par terre, 2° ne pas parler breton. Il a fallu attendre 1982 pour que des filières de classes bilingues soient réintroduites dans l’enseignement (école Diwan). Mais une chose est sûre, Joseph ne transmettra pas ce savoir, si tant est qu’il l’ait, à ses enfants, ma grand-mère m’ayant souvent répété que malheureusement elle ne savait pas le parler.

Joseph voit partir son père dans la forêt tous les matins. Dans la société rurale, les enfants sont envoyés aux champs dès le plus jeune âge. En 1893 suivant les lois de Jules Ferry, l’âge d’admission au travail est fixé à 12 ans et la durée quotidienne de travail des jeunes est limitée à 10 heures (soit 60 heures par semaine). Mais en réalité, les enfant travaillent parfois dès l’âge de 5 ans et jusqu’à 15 heures par jour dans les mines, les chantiers ou dans le textile. Les enfants des campagnes sont-ils mieux lotis que ceux des villes ? Joseph a sans doute rejoint son père très tôt au fond des forêts.

En 1913, Joseph a 20 ans. A l’âge de 20 ans, comme tous les jeunes garçons de son âge, Joseph est appelé au service militaire. Les dernières lois ont supprimé le dispositif de tirage au sort qui permettait jusque là à une grande partie des garçons moyennant rétribution, d’échapper au service militaire. En 1905, la durée du service militaire avait été réduit d’un an. Mais les tensions internationales s’exacerbent en Europe, en Afrique, puis dans les Balkans. En 1913, la durée de service actif est rallongé à 3 ans. C’est le plan XVII qui, justement par anticipation d’un scénario qui allait pourtant se réaliser, prévoit l’augmentation massive des effectifs français le long des frontières franco-belges. Mais les jeunes gens de cette classe étaient loin d’imaginer que, s’ils survivent, ils en avaient pris pour 5 ou 6 ans ?

Le 26 novembre 1913, Joseph part faire ses classes. Il est incorporé en qualité de soldat de 2ème classe au 118ème Régiment d’infanterie (118è RI). Il porte le matricule 913. Le 118è RI a sa garnison à Quimper. C’est un régiment formé avec un recrutement essentiellement breton.

Joseph n’est pas bien haut. Il ne mesure que 1m57 mais c’est un solide gaillard, habitué à manier la scie, à couper et à déplacer des troncs d’arbre de l’aube jusqu’au coucher du soleil quand il perce, rare, entre les cimes. Sa profession est : bûcheron. Il est blond et a les yeux roux de sa mère.

Joseph LE TORRIELLEC

La bataille de Maissin

Lorsque François Ferdinand d’Autriche se fait assassiner à Sarajevo le 28 juin 1914, Joseph est déjà en service au 118è RI depuis 7 mois. A l’origine, il ne s’agissait pourtant que d’un conflit local entre la Serbie et l’Autriche-Hongrie. Mais cet événement a poussé au paroxysme les rivalités et les tensions qui existaient depuis bien longtemps entre les grandes puissances de l’époque. La montée des impérialismes, les souvenirs amers de conflits non résolus (l’Alsace-Lorraine perdue par la France), les guerres dans les Balkans et surtout le jeu des alliances entre les pays a entraîné les puissances européennes dans une guerre mondiale.

Rapidement suite à cet assassinat, l’Empire austro-hongrois déclare la guerre à la Serbie. Puis la Russie déclare la guerre à l’Autriche-Hongrie quelques jours après. L’Allemagne déclare ensuite la guerre à la Russie (3 août 1914). La France se prépare alors à déclarer la guerre à l’Allemagne pour aider ses alliés russes, mais c’est l’Allemagne qui la lui déclare avant et envahit la Belgique. Enfin, le Royaume-Uni déclare la guerre à l’Allemagne pour aider ses alliés belges. Le système des alliances entre les pays conduira à une guerre totale où périront 10 millions d’hommes, soit environ 6000 hommes par jour. A ce rythme-là, on n’est pas si loin du bilan quotidien qu’on entend chaque jour à l’heure où j’écris ces lignes… Statistiquement, en nombre de combattants tués, la France est le pays le plus touché avec 1,45 million de morts et disparus, et 1,9 million de blessés.

Le 1er août 1914 à 15h45, compte tenu de l’emballement des puissances qui se déclarent la guerre les unes après les autres, le gouvernement français décrète le début de la mobilisation générale pour le 2 août. Le télégramme donnant l’ordre de mobilisation est envoyé aux commandants de régiments ainsi qu’aux préfets, ces derniers le relayant aux sous-préfets et aux maires. Les communes rurales isolées sont mises au courant par les gendarmes, puis les hameaux par des messagers envoyés par les maires. L’ensemble de la population est informé le même jour par des affiches qui avaient été imprimées dès 1904 (seule la date restait à compléter) et qui seront placardées sur la voie publique dans chaque commune, puis par le tocsin sonné par les cloches des églises et des beffrois.

A ce moment-là, Joseph est déjà mobilisé dans sa caserne à Quimper. L’effectif du 118ème RI était de 55 officiers, 3320 hommes de troupe et de 186 chevaux.

Le 7 août 1914, le 118è RI est prêt et il embarque, réparti en 3 bataillons, à la gare de Quimper, direction les Ardennes. L’accueil des populations sur tout le parcours est sympathique. Le régiment débarque les 9 août dans les Ardennes. En cours de route, on apprend la prise de Mulhouse et cette nouvelle soulève de nombreux cris d’enthousiasme. Les hommes sont joyeux. On a encore l’impression que la guerre sera rapide et victorieuse. En trois semaines, on les renverra à Berlin, se plaît-on à répéter. Mais ce qu’ils ne savent pas, c’est que Mulhouse sera reperdue aussitôt. Du 16 au 20 août, les hommes marchent sur de longues colonnes qui s’allongent sur des kilomètres pour prendre leurs positions.

Le 22 août, le 118ème quitte Auby à 4h45 du matin pour marcher sur Maissin de l’autre côté de la frontière en Belgique. L’ordre est clair : attaquer l’ennemi partout où on le rencontrera. Le combat s’engage. Des centaines de milliers de soldats s’alignent le long de la frontière belge. Pour tous les hommes, c’est le baptême du feu. Les boches sont retranchés depuis plusieurs jours, dans les bois, dans les champs d’avoine. Les bataillons se déploient et progressent sous une grêle de balles. Les officiers, sabre au clair, les soldats, baïonnettes au canon, se portent à l’assaut des positions ennemies fortement défendues par des mitrailleuses. L’uniforme gris de l’ennemi est tellement invisible que l’on ne voit pas d’où partent les coups. Le 119ème RI venu en renfort du 118ème, est criblé de balles. Le 116ème, puis le 62ème et enfin le 337ème viennent renforcer les lignes pendant qu’une autre batterie d’artillerie prend position. Aussitôt, toute la ligne charge à la baïonnette et les Allemands abandonnent leurs tranchées en y laissant de nombreux morts et blessés. La victoire est à portée de fusil. Il est environ 16 heures quand le 118ème se rend maître de Maissin.

Mais l’ennemi riposte avec violence, tant et tant, qu’à 17h30 les pouvoirs s’inversent. Le terrain gagné est reperdu et, bientôt, l’ordre de se replier est donné. Des tranchées sont creusées et garnies de tirailleurs. On y passe la nuit, les Boches ne poursuivent pas, ils attendent des renforts qui leur arriveront dès le lendemain matin. Dès l’aube de ce 23 août, les incendies se rallument, l’église de Maissin est bombardée, le bétail décimé, les récoltes ravagées, les habitants assassinés. Les mitrailleuses tirent dans tous les sens, les hommes tombent. Les Français battent en retraite. A midi, on peut dire que la bataille est perdue. C’est la déroute.

Au cours de ce combat, après 10 heures de violence, entre l’aube et la tombée de la nuit, le 118è a été très éprouvé. En moins d’une journée, sur les 3320 hommes du 118ème au départ, plus de 1100 sont tombés, soit le tiers de ses effectifs. C’est une boucherie ! Mais Joseph s’en est tiré.

Ce 22 août marque l’histoire militaire comme étant le jour le plus sanglant de l’histoire de France, toutes guerres confondues : 27 000 morts en une seule journée sur toute la frontière franco-belge. Les militaires français ont sous-estimé le nombre de divisions qu’ils auraient en face d’eux. L’Etat-major allemand avait massé 59 divisions sur la frontière tandis que la défense de l’Alsace-Lorraine n’était constituée que de 16 divisions. Le Général Joffre pensait attaquer les Allemands sur leur flanc par surprise, mais il a dû se résoudre à les attaquer de face, ce qui a constitué un choc plus violent et difficile à remporter. Une erreur catastrophique qui explique en partie le carnage. Quand ils tombent sur les Allemands dans ce paysage vallonné, sinueux et boisé, les Français sont pris de court. De plus, nos soldats qui ne sont pas encore des « poilus » portent des uniformes d’un rouge bien trop visible pour les mitrailleuses allemandes. Le massacre est tellement terrible que les soldats tombés ce jour-là n’ont pas tous pu être identifiés. Plus tard, une nécropole sera construite et un calvaire breton sera inauguré pour commémorer le sacrifice de tous ces bretons du 118è RI.

La bataille de la Marne

Joseph a échappé au pire. Il est debout, vivant. Il a perdu de nombreux camarades qui seront enterrés à la va-vite, sans nom, sans croix dans des fosses communes. Des compagnies entières ont été décimées. Mais il est vivant. Les troupes françaises se sont repliées mais la bataille continue. Les marches en arrière reprennent, longues, pénibles, sous une chaleur accablante. Chacun porte sur son dos son fusil et 20 kilos de matériel. Les routes sont encombrées de cadavres. Les jours passent et à chaque heure de nouvelles marches et de nouveaux combats. A chaque village, d’autres offensives et encore des morts. On dit que le sang coule dans les ruisseaux et colore la terre. Les hommes tombent les uns après les autres, sans distinction de nationalités ni de grades. Pas une heure ni un kilomètre ne passent sans qu’un homme n’y perde la vie.

L’armée française a reculé en masse mais a évité le pire. La déroute n’est pas totale. Les soldats continuent à se battre même s’ils ont repassé la frontière belge pour se réfugier en France parfois jusqu’aux portes de Paris sur lequel marche inexorablement l’armée allemande. La France craint le pire. Le 2 septembre 1914, le Gouvernement français a quitté Paris pour Bordeaux. Le 3 septembre, les allemands sont signalés à quelques kilomètres de Pontoise, à une quarantaine de kilomètres de Paris. Le Général Joffre donne l’ordre à toutes les armées françaises de faire front pour défendre Paris : « Toute troupe qui ne peut plus avancer devra, coûte que coûte, garder le terrain conquis et se faire tuer sur place plutôt que de reculer ». La Marne et ses affluents sont le lieu choisi pour cette opération de la dernière chance.

On est le 6 septembre et c’est le début de la bataille de la Marne.

Le 118è RI s’établit à Lenharrée à une trentaine de kilomètres au sud-ouest de Challons-en-Champagne. En début d’après-midi, le 118ème est violemment canonné par l’artillerie allemande. A la tombée de la nuit, une fusillade éclate sur tout le front ; elle est suivie d’une canonnade qui se prolonge toute la nuit. A 3h30 du matin, après un redoublement de violence du feu d’artillerie, les Allemands attaquent de partout et parviennent à progresser tant sur la droite que sur la gauche du 118ème qui, malgré l’encerclement progressif de l’ennemi, parvient à conserver ses retranchements. Lenharrée et les bois sont en feu. Le 118ème cède peu à peu. Vers 14 heures le lendemain, les combats se poursuivent incessamment. Les pertes sont nombreuses, même dans le commandement. Les capitaines tombent les uns après les autres, ils se succèdent à la tête du 118ème, mais le régiment tient bon.

Malgré les fatigues accumulées pendant la retraite, les Français tiennent et contre-attaquent à la grande surprise de leurs adversaires. Au total, près de 2,5 millions de soldats s’affrontent dans les vallées de la Marne, entre Meaux et Verdun sur 200 kilomètres de front. Mais les munitions et les hommes commencent à manquer.

Dans la nuit du 7 au 8 septembre, l’armée reçoit les renforts de 4000 fantassins « frais » acheminés depuis Paris par 700 taxis parisiens. La France regagne du terrain. Les allemands commencent à se retirer sur des positions plus au nord (le Chemin des dames et le plateau de Craonne) où ils commencent à s’enterrer dans des tranchées. La bataille se termine le 11 septembre.

Le plan allemand qui, en moins de deux mois, devait anéantir l’armée française est un échec. Désormais les Allemands doivent combattre sur deux fronts : à l’ouest contre les Franco-belgo-britanniques et à l’est contre les Russes. Le 12 septembre 1914, le 118è RI continue sa progression et traverse Châlons. Ce sont les premières troupes françaises qui traversent cette ville depuis la retraite des Boches. Les habitants leur font la fête ; les maisons sont pavoisées ; on leur apporte des bouquets, du vin, du tabac, des vivres. Des cris d’allégresse se font entendre dans toutes les rues.

Le 14 septembre, le régiment arrive à nouveau au contact des Allemands. A nouveau, le feu des mitrailleuses et les rafles de l’artillerie ennemie. Les hommes continuent à avancer à travers champs, marche de somnambules, machinale, enjambant les cadavres qui jonchent les chemins, jambes en coton et tête lourde. La guerre a commencé il y a un mois et demi seulement. Le 15 septembre, le 118è progresse à travers bois et arrive devant Saint-Hilaire-le-Grand, à 7 kilomètres de Suippes où les combats font rage. Ce jour-là, Joseph se prend une balle.

Cette semaine-là, la bataille de la Marne coûta plus de 100 000 vies à la France. Et 122 000 blessés. Mais pour le Général Joffre, c’était le prix à payer pour stopper l’avancer des soldats de Guillaume II.

Joseph est blessé par balle au pied gauche. Il est évacué. Les soldats blessés doivent d’abord être exfiltrés du champ de bataille. Ils sont ensuite transportés dans un hôpital de front et enfin évacués. Ça peut parfois prendre plusieurs jours qui peuvent être fatals aux soldats blessés. Les transports d’évacuation se font au moyen de trains sanitaires. Ces trains constituent de véritables hôpitaux roulants. Chacun comprend vingt-trois wagons. Un wagon est spécialement réservé à la chirurgie (instruments, objets de pansement, appareils à fractures, etc.), à la pharmacie et à la lingerie. Il n’y a pas si longtemps – et c’est un euphémisme – j’ai entendu dire que le même type de transport était organisé pour traverser la France d’est en ouest.

C’est la fin de la guerre de mouvement, la fin de course à la mer, la fin du pantalon rouge et du sabre-baïonnette au bout du fusil. C’est le modèle de la guerre du XIXème siècle qui s’éteint sur la Marne. Les hommes pressentent à ce moment que la guerre sera plus longue que prévue. Ce jour-là, la conflit change de nature : on entre dans une longue guerre de position, une guerre des tranchées où les maladies par manque d’hygiène seront tout aussi dangereuses que les balles des mitrailleuses et les éclats d’obus.

L’ampleur de la bataille alimente les trains de blessés qui reviennent à l’arrière, à Paris puis dans de nombreuses autres villes transformées en hôpitaux temporaires. Plus qu’au mois d’août encore, où de nombreux blessés restent sur le champ de bataille, le retour des soldats touchés dans leur corps laisse voir désormais la guerre qui se déroule, le « feu qui tue ».

Avec sa blessure au pied, Joseph est évacué. La blessure devait être grave, invalidante, sans doute mal suppurée à cause de la boue et du manque de désinfection. Il sera soigné durant six mois. Longue convalescence. Six mois de pause, loin de l’Enfer.

La convalescence puis le retour sur le front

Après six mois de convalescence, Joseph est versé au 51ème régiment d’infanterie de Beauvais et sera de retour au front le 20 mars 1915. Dès son retour, il rejoint le front avec son nouveau régiment à Herpont à 20 kilomètres à l’est de Châlons.

Le 51ème Régiment d’Infanterie

1915, partout on s’installe, on s’enterre : c’est la première période des tranchées. Les fantassins se transforment en terrassiers et manient plus souvent la pioche que le fusil. Peu à peu, l’immense front se garnit d’une première ligne mais celle-ci est loin d’être continue ; de larges intervalles séparent encore ces tranchées qui, elles-mêmes, sont peu profondes. On creuse partout des boyaux qui y conduisent. Partout une boue intense et souvent beaucoup d’eau. En mars 15, on sort à peine de l’hiver. Le temps est affreux, il pleut en continu. Les champs sont détrempés et creusés de trous d’obus. A peine les abris sont-ils recouverts de paille, de terre et de rondins. Seuls des mitrailleuses, des mortiers lisses datant du Premier Empire ainsi que des petits canons de la marine renforcent le tir des fantassins. La nuit, pas de projecteurs ni de fusées éclairantes. Pas de cuisines roulantes : les cuistots font la popote à 500 mètres des lignes et la fumée de leurs feux attire souvent les foudres de l’artillerie ennemie. Les postes de secours sont aussi primitifs que les abris. L’hygiène est forcément négligée. Des milliers de rats,de poux, de vermines ont envahi les tranchées.

Le 25 mars, le régiment est passé en revue par le Général Joffre en personne et il félicite le lieutenant-colonel Brion et ses hommes pour la prise de la cote 196 : « Colonel Brion, je vous remercie du bien que vous avez fait au pays par votre brillante conduite. Mes plus cordiales félicitions« .

Le 24 avril, le 51ème RI se rend à la caserne Marceau à Verdun pour rejoindre la tranchée de Calonne. Le commandant prévient : « tant qu’il y aura un homme vivant dans la tranchée, je défends qu’on recule ou, cela, il y aura pour lui des balles dans mon révolver. » Il faut tuer ou être tué. Le 25 avril, les combats font rage dans les Eparges et ils dureront sans relâche jusqu’au 5 mai. Tout ça, pour des gains nuls. Aucun terrain gagné. Juste des vies fauchées. Cette semaine-là, le 51ème RI perd 4 officiers et 99 soldats auxquels il faut rajouter 46 disparus. Le caporal Boizat du 272 RI écrira : « Une odeur infecte nous prend à la gorge dans notre nouvelle tranchée à droite des Eparges. Il pleut à torrents et nous trouvons des toiles tentes fichées dans les parois de la tranchée. Le lendemain à 6h on constate avec stupeur que nos tranchées sont faites dans un charnier, les toiles de tentes mises par nos prédécesseurs l’ont été pour cacher la vue des corps et débris humains qui sont là. Au bout de quelques jours de ce séjour, et le soleil aidant, les mouches nous envahissent, l’appétit a disparu, et lorsque l’ordinaire peut nous arriver, il est balancé au-dessus du parapet. Seuls, le pinard et la gniole sont les bienvenus et étanchent la soif qui nous étreint. Les hommes ont le teint cireux, les yeux cernés« .

Les soldats racontent la violence mais aussi le vide, l’attente qui englue le temps. Tenir une tranchée, c’est y rester nuit et jour, dans la boue, dans le froid, au milieu de la vermine, des rats engraissés de chair humaine et des poux gavés de sang de soldat.

Sous cette pluie, dans cette boue, dans cette puanteur, Joseph, toujours debout, encore vivant, finit par tomber malade. Les combats dans la tranchée de Calonne les Eparges dureront jusqu’au 5 mai. Mais Joseph n’a plus la force de tenir debout, plus la force de se lever et de tenir son arme. Plus la force d’avancer. Il a froid, mal à la tête, saisi de torpeur, couvert de boutons, il délire presque.

Il est atteint du typhus des poux ou de la tiphoïde. Ces deux maladies étaient souvent confondues à l’époque. Cette maladie provoque de la fièvre, des troubles neurologiques, des éruptions cutanées. Ça commence comme une grippe – encore une : des frissons, courbatures, mal de tête, fièvre, des tâches rouges sur le corps puis la confusion mentale, des délires. Le typhus a fait des ravages pendant la première Guerre mondiale. On estime à plus de 150 00 le nombre de morts de ces maladies rien qu’en 1915.

Il faut relire quelques pages de A l’ouest rien de nouveau d’Erich Maria Remarque pour bien comprendre ce fléau. Les hôpitaux à l’époque reçurent des consignes bien précises pour éviter la transmission du typhus. D’entrée, le malade devait subir un déshabillage et une toilette prophylactique. Le malade devait être amené dans une salle d’examen aussi proche que possible de la sortie. Il était ensuite épouillé de la tête aux pieds. Ses vêtements jetés et brûlés.

Joseph est évacué le 28 avril 1915. Il est hospitalisé 6 mois et soigné jusqu’au 14 septembre. Ensuite, il part en convalescence dans une maison de repos dans les Landes. Je n’ai, à ce jour pour ma part, retrouvé aucune information sur cette hypothèse qui n’en était pas une pour mon cousin Bruno qui m’a précédée dans mes recherches. Je sais qu’il existe aux archives nationales des anciens combattants un fonds important qui concerne les militaires blessés ou malades, leur évacuation du front, leur convalescence. Dès notre propre confinement achevé, je ferai une demande aux services de la Défense.

Du 15 septembre 1915 au 15 juin 1916, Joseph reprend du service mais il est affecté à l’arrière. J’espère qu’il aura bénéficié d’une permission pour rentrer voir sa famille à Camors. Sans doute cependant n’aura-t-il pas eu le temps de croiser Jean, son frère plus jeune de trois ans, qui a été incorporé en avril 1915.

Jospeh ne retrouvera son régiment que le 16 juin 1916 à Sennoncourt à une trentaine de kilomètres au nord de Vesoul.

La bataille de la Somme

Le 28 juin 1916, ça fait déjà presque 3 ans que Joseph est sous les drapeaux. Le 51ème Régiment d’infanterie embarque en chemin de fer à Nançois Tronville près de Nancy. Il débarque 300 kilomètres plus haut, le lendemain à Saleux près d’Amiens. Les hommes vont cantonner à Pissy et Fluy. Mais le repos se transforme bientôt en une période d’active préparation. Pour soulager les Français à Verdun, les britanniques ont créé un second front dans la Somme. Les François se doivent d’aller seconder leurs alliés là-bas.

La bataille de la Somme s’est déroulée de juillet à novembre 1916. On estime le bilan à plus de 1 million de morts, blessés et disparus. Les unités se sont succédé au front les unes à la suite des autres durant cinq mois de combats incessants. En vain. Ce sont les intempéries de l’automne qui obligèrent les armées à suspendre les opérations. Durant cinq mois, les assauts franco-britanniques se sont continuellement brisés sur les murailles adverses. Au total, les alliés n’auront progressé que de 12 kilomètres au nord de la Somme ! La percée tant attendue par laquelle le Général Joffre espérait revenir à une guerre de mouvement s’est transformée, comme à Verdun, en une bataille d’usure où le nombre de morts est affolant. C’est à la suite de cette bataille que le haut-commandement allemand décida d’une guerre sous-marine à outrance qui força les Etats-Unis à entrer en guerre.

Pourtant les alliés s’étaient préparés. Les jours qui précèdent le 1er juillet 1916, les troupes alliées préparent le terrain avec des tirs de réglage et des destructions. D’abord, l’aviation qui vient en reconnaissance et qui bombarde la nuit. Ensuite, des tirs de canons à longue portée qui atteignent des sommets de puissance destructrice. Puis les tirs s’intensifient par un bombardement général et continu des lignes allemandes. Les tranchées allemandes des premières lignes sont presque totalement détruites. Les hommes partout ont sauté comme des champignons dans une poêle. Partout des hommes réduits en charpies. Il tombe les premiers jours une moyenne de cinq obus pour chaque soldat allemand.

Le 1er juillet au matin, c’est par un temps beau et clair que commence le bombardement final des alliés. À partir de 6 h 25, les tirs d’artillerie atteignent une cadence de 3 500 coups par minute, produisant un bruit si intense qu’il est perçu jusqu’en Angleterre. Les alliés pensent avoir détruit les premières lignes. Pourtant les Allemands sont à l’abri, protégés bien enterrés dans leurs tranchées solides et étayées, parfois bétonnées. A 7 h 30, au coup de sifflet, l’infanterie franchit les parapets baïonnette au canon et part à l’assaut des tranchées adverses. 66 000 soldats sortent des tranchées en même temps. Ils ont même ordre de ne pas courir et de rester en rangs serrés tant ils croyaient les Allemands affaiblis ! Alors, les Allemands les accueillent avec des tirs de mitrailleuses qui les fauchent en masse. Les bombardements des alliés n’avaient détruit qu’une infime partie des premières lignes allemandes. En réalité, ils attendaient à l’abri de leurs solides tranchées. C’est une tuerie. Le 1er jour de combat dans la Somme, ce 1er juillet 1916, c’est près de 60 000 hommes qui tombent. C’est un terrible échec pour les alliés.

Les britanniques souhaitent arrêter le combat mais Joffre refuse. Une nouvelle préparation d’artillerie se met en place. Il reste encore un peu de chair à canon.

Le 12 juillet, le 51ème RI de Joseph qui cantonnait à côté d’Amiens a ordre d’aller secourir les britanniques. Le régiment prend alors la route de la Somme. Joseph et ses camarades resteront au front, sous les tirs ennemis plus d’un mois jusqu’au 16 août. L’armée française progresse peu à peu, de bois en boyaux. Le 51ème fournit un travail de bœuf en organisant les nouveaux secteurs conquis malgré la boue et les bombardements ininterrompus. La nuit, les hommes se reposent dans les tranchées de Dompierre et de Chuignolles. Ici, plus rien ne subsiste. C’est un paysage de désolation. Quelques arbres sont encore debout, mais la plupart des branches ont été hachées par les éclats et presque toutes les feuilles ont été grillées par les gaz des obus. Les gars du 51ème essaient de construire des abris et de construire de nouvelles lignes d’attaque.

En début du mois de septembre 1916, les champs de bataille sont transformés par une pluie incessante en un bourbier monstrueux. Le 7 septembre, le 51ème est à nouveau dans le secteur de Belloy en Santerre. Le 8 septembre, les Allemands attaquent mais le 51ème les repoussent après un violent combat qui dure 7 heures. Les hommes sont devenus des bêtes. Ils ne savent plus, ne pensent plus, ne comprennent plus. Le 10, les Allemands attaquent avec des liquides enflammés et reprennent la tranchée. Le 51ème contre-attaque et reprend sa tranchée. A chaque assaut, des dizaines d’hommes tombent. Les jours se succèdent et à chaque jour son vainqueur qui perd le terrain conquis le lendemain. Le 15 septembre, par trois assauts successifs, le bataillon essaiera de prendre la tranchée de Tahure. Le dernier assaut sera le bon. Les Français découvrent dans cette tranchées 80 cadavres. Charnier à ciel ouvert.

« Mon cher ami, Je n’aurais jamais cru qu’il pût encore y avoir quelque chose qui surpasse l’enfer de Verdun. Là-bas, j’ai souffert atrocement. Maintenant que cela est passé, je puis le dire. Mais ce n’était pas assez : maintenant nous avons été envoyés dans la Somme. Et ici tout est porté à son point extrême : la haine, la déshumanisation, l’horreur et le sang. (…) Je ne sais plus ce qu’il peut encore advenir de nous, je voulais vous saluer encore une fois. Peut-être est-ce la dernière. »

Paul Zech dans une lettre à son ami Stefan Zweig

Fatigué par deux mois de combats sous un bombardement continuel, le 51ème RI est relevé du front dans la nuit du 16 au 17 septembre. Ils sont envoyés pour préparer un autre champ de bataille. Sans tirer un coup de fusil, à la pelle et à la pioche, malgré la violence des bombardements qui détruisent parfois en quelques minutes le travail de toute une nuit, le 51ème prépare une nouvelle ligne de front dans la Somme.

La bataille s’enlise. Au propre comme au figuré. Le 51ème a perdu 5 officiers et 541 soldats. 237 seront blessés. Mais Joseph a tenu bon.

Le 11 octobre, son régiment est relevé et mis au repos à Proyart à 20 kilomètres à l’est d’Amiens. Joseph est là, sur ses deux jambes. Il a même encore deux bras, deux yeux et aucune blessure grave.

À partir du 18 novembre, les conditions climatiques se dégradent considérablement, pluie glaciale, neige et blizzard mettent en échec toutes les offensives. C’est la fin effective de la bataille de la Somme. Le 21 novembre, les britanniques décident l’arrêt des offensives mais les français ne veulent pas renoncer. Il faudra attendre le 18 décembre et la mort de quelques soldats supplémentaires pour que Joffre renonce définitivement mettant ainsi fin officiellement à la bataille de la Somme.

Le 51ème RI, lui, a déjà quitté la Somme.

Le 27 novembre, le régiment de Joseph embarque à la gare de Longueau et débarque à Challigny et Maron à quelques kilomètres de Nancy où il va cantonner plusieurs mois pour perfectionner son instruction jusqu’à fin janvier 1917. C’est l’occasion de passer encore un Noël, dans le froid et l’inconfort, loin des siens.

Le chemin des Dames

Le 51ème perfectionne son instruction par des exercices, des tirs et des manœuvres. Il reste au camp de Bois-l’Evêque près de Rouen jusqu’au 23 janvier 1917. Durant le mois de février 1917, le régiment est envoyé à Champenoux à côté de Nancy pour effectuer des travaux sur la 2ème position. Il fait froid, très froid mais les soldats travaillent malgré une température de 18 à 25 degrés en-dessous de zéro. Les hommes poursuivent leur instruction. En raison de son entraînement intensif, le 51ème fait désormais partie des troupes de poursuite.

Une autre grande offensive se prépare, l’offensive Nivelle, autrement appelée la bataille du Chemin des Dames – appelé ainsi parce qu’il avait été emprunté 150 ans plus tôt par les filles de Louis XV. Dois-je préciser que cette nouvelle offensive sera un cruel échec pour l’armée française ? L’attaque, mal préparée, a viré au fiasco en quelques heures. La bataille du Chemin des Dames en Picardie commence le 16 avril 1917 à 6 heures du matin : « L’heure est venue, confiance, courage et vive la France ! », dit le Général Nivelle. La bataille qui devait durer une journée, deux tout au plus, se prolongera 6 mois jusqu’au jusqu’au 24 octobre 1917. Le bilan se soldera par de très lourdes pertes humaines dans les deux camps. Cette bataille fixera le début des mutineries dans l’armée française.

Le 8 avril 1917, le 51ème RI quitte ses cantonnements. Le 15 avril, après avoir parcouru plus de 300 kilomètres vers le Nord et traversé des dizaines de villages dévastés, le 51ème bivouaque au sud de l’Aisne dans le ravin de Beaugilet. En ce printemps 1917, les conditions météorologiques sont terriblement mauvaises. Il fait très froid et il neige même le 16 avril. Une pluie glacée tombe d’une manière discontinue rendant le terrain très boueux. Les bombardements ont mis la terre à nu et ont sculpté un paysage lunaire une absence totale de végétation, des trous d’obus partout. Cette terre boueuse est continuellement retournée par les obus : elle n’est donc pas stable, elle se dérobe sous les pieds si bien que le soldat ne cesse de tomber, pour se relever et tomber à nouveau.

Le 16 avril, l’attaque générale est déclenchée. Le Régiment de Joseph se met en marche à 6 heures pour se rapprocher des troupes d’attaque. Il franchit l’Aisne à 9 heures et se porte dans le bois de Beaumarais. Mais les bombardements n’ont que peu touché les positions allemandes. Les hommes qui se sont lancés à l’assaut, échouent contre des deuxièmes lignes très peu entamées par les bombardements. Ils sont pris en enfilade par des nids de mitrailleuses cachés et ils sont même parfois pris à revers par des soldats allemands qui sortent des souterrains. Un député déclarera plus tard : « la bataille a été livrée à 6 heures, à 7 heures, elle est perdue« .

L’attaque a échoué. Le 51e se réfugie dans le bois des Couleuvres où il cantonnera quelques heures pour se reposer. Dans la nuit du 20 au 21 avril, il retourne au front et prend la relève d’autres régiments d’infanterie qui avaient réussi à légèrement progresser. Le Régiment réorganise immédiatement les positions et protège le secteur jusqu’au 26 avril. C’est ça son boulot au 51ème, sécuriser et de protéger les terrains acquis. Et attaquer !

Dans la nuit du 30 avril au 1er mai, le 51e relève le 87e dans le secteur de La Neuville, en vue de lancer une nouvelle attaque sur le Mont Spin. Le Régiment prend son dispositif d’attaque dans la nuit du 3 au 4 mai malgré les tirs très violents de l’artillerie ennemie. Le 4 mai à 6h50, Joseph et ses camarades partent dans un ordre parfait et grimpent les pentes dénudées du Mont Spin, véritable glacis de la mort, malgré l’ouragan de balles et d’obus qui s’abat sur eux. Mais les fils de fer ennemis sont intacts et infranchissables. En dépit de l’héroïsme dépensé, l’attaque échoue. Seule la 2ème compagnie parvient à les franchir et à s’emparer d’une partie de la tranchée ennemie « la tranchée du Vampire ». Les autres compagnies des 1er et 3ème bataillons sont obligés de se terrer dans les trous d’obus pour éviter la destruction. Le 2ème bataillon est obligé de descendre dans la parallèle de départ des premières vagues et de s’y abriter. Les pertes sont lourdes. Le 7 mai, il faut tout recommencer et repartir à l’assaut. Cette fois, les fils de fer allemands sont en partie détruits et le 51eme RI réussit à prendre possession de la tranchée du Vampire. Mais les travaux du secteur sont complètement à refaire, les tranchées sont à moitié comblées, les boyaux n’existent plus, les passages sur le canal et le marais sont très endommagés.

Le Régiment quittera définitivement ce secteur dans la nuit du 27 au 28 mai après avoir perdu au cours de ce mois 11 officiers et 243 soldats.

A partir du 20 mai jusqu’à fin juin, le front est secoué par les mutineries qui affectent plus de 150 unités. Ces refus touchent surtout des troupes au repos que l’on veut renvoyer à l’assaut. Le froid, la boue, le déluge d’obus ont eu raison du moral des troupes. L’échec humiliant de la bataille du chemin des Dames, l’entêtement de l’état-major qui poursuit cette offensive perdue d’avance, les conditions d’hygiène déplorable, le manque de nourriture, les rats et les poux, toute cette accumulation provoque une montée de colère parmi une partie des hommes au front.

Facteur aggravant, les combattants du front découvrent lors de leurs permissions les « embusqués », les personnes pourvues d’emplois les mettant à l’abri du service sur le front. Les permissions, les transits par Paris leur montre une population parisienne se souciant peu de leur sort. Les soldats ressentent comme une impression de dédain à leur égard. Les morts, les blessés, les gueules cassées, tout ça, c’est loin de la classe politique et du Haut commandement. ils ne sont que de la chair à canons.

Les mutineries se manifestèrent d’abord par des refus de certains soldats de monter en ligne. Les soldats acceptaient certes de conserver les positions, mais refusaient de participer à de nouvelles attaques qui, somme toute, ne permettent de gagner que quelques centaines de mètres de terrain sur l’adversaire. Et puis, ils en ont venus à demander plus de permissions. Ces refus d’obéissance s’accompagnèrent de manifestations bruyantes, au cours desquelles les soldats exprimaient leurs doléances et criaient de multiples slogans dont le plus répandu est  » À bas la guerre « .

Au bilan, le Général Pétain, venu remplacer Nivelle, prendra plusieurs mesures visant à améliorer le sort des poilus, concernant entre autres les cantonnements, la nourriture, les tours de permissions. Cette grande crise au sein de l’armée française amena cependant son lot de sanctions contre les mutins. Environ 3 500 condamnations furent prononcées par les conseils de guerre avec une échelle de peines plus ou moins lourdes. Il y eut entre autres 1381 condamnations aux travaux forcés ou à de longues peines de prison et 554 condamnations à mort dont 49 furent effectives.

Les hommes, eux, en feront une chanson qu’ils entonneront lors des mutineries : « Adieu la vie, adieu l’amour, Adieu toutes les femmes, C’est bien fini, c’est pour toujours De cette guerre infâme C’est à Verdun au fort de Vaux qu’on a risqué sa peau... ». C’est un carnage.

Mais Joseph ne fait probablement pas partie des mutins. Le 1er juin, le 51ème RI a rejoint Chalons et prend un peu de repos à l’arrière. Le 30 juin, le 51ème est emmené par camions du côté de Verdun où un autre front est toujours actif. Les hommes doivent se préparer à une autre attaque sur le redoutable terrain de la cote 304. Cette guerre ne semble jamais vouloir s’arrêter…

La cote 304 et la citation

Dès le 7 juillet 1917, le régiment doit se préparer à l’attaque qu’il doit mener sur le terrain redoutable de la cote 304. Le 51ème est transporté en camions dans les bois de Béthelainville. Le 16 juillet, à 20 heures, les bataillons essaient d’atteindre leurs positions de départ. Le mouvement, très pénible en raison des difficultés du terrain, n’est terminé que le lendemain, à 2 heures 30 du matin. Mais sitôt la cible atteinte, à 6 heures 15, les bataillons sortent de la tranchée Bouchez et du boyau des Zouaves et s’élancent à l’assaut sous un violent tir de barrage. Les hommes enjambent les chevaux de frise éventrés et les barbelés. Ils tombent et se relèvent, regagnent leur place et continuent l’ascension de la pente chaotique du Ravin de la mort. L’objectif, les tranchées Grosclaude, Lescaux et la Demi-Lune, est atteint et la résistance ennemie, brisée. C’est une victoire pour Joseph.

Cette action rend le 51è RI maître d’observatoires précieux et dégage la cote 304 à l’ouest. Bien sûr, l’ennemi réagit furieusement avec son artillerie. Le terrain conquis est pilonné jour et nuit avec une extrême violence par obus de gros calibres. Dans la nuit du 17 au 18 juillet, les bataillons combattent toute la nuit à la grenade et repoussent trois contre-attaques. Malgré la fatigue et le bombardement terrible, le terrain est organisé solidement. Aussi, après la relève, le Régiment pouvait-il être fier de son oeuvre.

Jospeh est cité à l’ordre du régiment n°417 du 1er août 1917 :

« Soldat brave et courageux au front depuis le début a toujours fait preuve de belles qualités notamment à l’attaque du 17 juillet 1917 en travaillant sous un violent bombardement à l’organisation du terrain conquis ».

125 hommes du 51è perdront la vie lors de cette bataille mais c’est un succès. Ce brillant fait d’armes fait obtenir au Régiment une deuxième citation à l’ordre de l’Armée, et le droit au port de la fourragère, aux couleurs de la Croix de guerre.

« Régiment ardent dont la haute réputation s’est maintenue au cours de la campagne en de glorieuses occasions, notamment en 1915 à la tranchée de Calonne, en 1916 au cours de la campagne de Verdun, puis à la bataille de la Somme où il a conquis de haute lutte un système de tranchées des plus fort.
Le 17 juillet 1917, en Argonne, sous les ordres du lieutenant-colonel TEILHAC, a bondi de ses tranchées, atteignant d’un seul élan tous ses objectifs sur un front de 1.000 mètres. A maintenu toutes ses positions contre les retours offensifs sans céder la moindre parcelle de terrain, malgré une violente réaction d’artillerie. A capturé 150 prisonniers, 6 mitrailleuses et 5 minenwerfer. »

Le 25 juillet, le Régiment est passé en revue par le Général PETAIN qui décore le ruban de la Croix de guerre du drapeau du régiment de sa 2ème palme.

Le 1er septembre , le Régiment occupe toujours les première ligne de la cote 304. Après des jours et des jours de luttes, de victoires et de défaites, la fameuse cote a été entièrement reconquise. Il faut reconstruire encore et toujours le terrain gagné. Le Régiment se met courageusement au travail, creuse les tranchées et les boyaux, montent des abris malgré les difficultés du terrain, la boue, les obus qui explosent et les gaz qui brûlent les poumons.

Le 15 septembre, Joseph est évacué malade.

Un mois plus tard, il est remis sur pied. Sans doute bénéficie-t-il d’une petite permission. Il rejoint son régiment sur la cote 304 le 12 novembre 1917. Encore un an à tenir avant l’armistice. Encore 8 mois pour Joseph avant d’être blessé encore une fois, une dernière fois dans la Somme.

La Somme encore

Le 16 février 1918, il est dirigé avec son régiment vers Avocourt et le bois de Malancourt. Le secteur est difficile. Après avoir passé un hiver agité dans des tranchées envahies par l’eau du dégel, tout le travail pour réorganiser les tranchées est à refaire : tranchées, boyaux, abris. Le 51ème RI à coups de pelles et de pioches reconstruit les lignes de défense. Il faut écoper, pomper les tranchées pour éviter l’enlisement, reconstruire les parapets qui se sont effondré et, en même temps, continuer à défendre lignes.

En plus des travaux quotidiens, laborieux, le 51ème continue à donner des coups de main au front. Le secteur est très agité, le bombardement continuel. Après 3 mois de travaux, le 51ème prépare à nouveau l’offensive. Le 24 avril 1918, le 51ème est Esseateaux et Bosquel à 15 kilomètres d’Amiens dans la Somme.

La seconde bataille de la Somme qui eut lieu à compter du mois de juillet 1918 fut le point de départ du parcours victorieux des Alliés vers l’Armistice.

Dans la nuit du 22 au 23 juillet, le Régiment se masse dans les tranchées de première ligne pour effectuer une attaque profonde sur les positions ennemies, avec l’aide de tanks anglais, dans le but de rejeter les Allemands sur la rive Est de l’Avre. Le 23, à 5 heures 30, les bataillons s’élancent à la suite du barrage roulant et des tanks. A 6 heures 15, les bataillons atteignent le premier objectif fixé après avoir réduit les nids de mitrailleuses des lisières de Sauvillers. A 7 heures 30, les hommes attaquent le plateau de Sauvillers dont ils se rendent maîtres rapidement avec l’aide des tanks, malgré la résistance furieuse de l’ennemi. A 9 heures 15, le 2ème objectif est atteint.

Enfin, à 10 heures 30, le bataillon s’empare des pentes ouest de l’Avre, où il s’installe.
Le 23 juillet a été pour le 51e, une journée heureuse. Malgré les nombreuses difficultés et la fatigue de trois mois de secteur, grâce au courage de tous, chefs et soldats, une page glorieuse est ajoutée au livre d’or du Régiment. Six officiers allemands et près de 400 hommes sont faits prisonniers.

35 hommes du 51ème y ont laissé la vie et 124 autres furent blessés. Parmi eux, Joseph qui reçoit des éclats d’obus qui lui éclatent aux oreilles et le blesse au bras.

Mais pour cette attaque, le 51ème RI a été cité pour la troisième fois à l’ordre de l’Armée : Le Régiment « après trois mois de séjour dans un secteur, qu’il a dû complètement organiser, a enlevé de haute lutte des points d’appui fortement défendus sur une profondeur de plus de 3 kilomètres. Placé à l’aile marchante du dispositif d’attaque, a, grâce à la rapidité de sa progression, débordé constamment les lignes adverses, contribuant ainsi puissamment au succès de l’opération du 23 juillet 1918″.

Le 51ème Ri est cité pour la 3ème fois à l’ordre de l’Armée.La bataille est inscrite au drapeau.

Joseph a été blessé en ce jour glorieux pour le 51ème. Il a reçu des éclats d’obus dans le bras droit et la déflagration le laisse en partie sourd. Il est évacué. Il rentrera d’évacuation le 12 octobre 1918 ; il sera affecté au dépôt le mois restant. Il ne retournera pas au front. L’armistice sera signé le 11 novembre. La guerre s’arrête enfin pour lui. Il a 25 ans et la vie devant lui.

Il recevra un certificat de bonne conduite pour toutes ces années passées dans des tranchées humides, à dormir sous des couvertures sales et rêches dans des baraquements où l’on dort entassés par dizaines, à vivre les jours et les nuits sous un ciel métallique, sous le feu des balles et des obus, pour toutes ces années passées dans la boue, parmi les rats et les poux, au milieu des cadavres dans une odeur pestilentielle de tabac gris et d’excréments mêlés, pour toutes ces années passées à sa battre pour la France, pour toutes ces années passées à s’oublier soi-même. Il sera proposé pour la médaille militaire par le recrutement en 1933-34, l’année où il perd sa femme. Mais ça, c’est une autre histoire.

Le retour à la vie

La démobilisation a été longue. Elle s’est déroulée sur une période de 19 mois, du 16 novembre 1918 au 14 juin 1920. Après l’armistice, la plupart des 5 millions de soldats espèrent être démobilisés rapidement. Mais, sauf pour les plus âgés, la libération se fait attendre car la tâche est immense et l’armée veut conserver des effectifs suffisants pour faire pression sur l’Allemagne. La démobilisation se fait classe par classe.

Joseph appartient à la classe 1913 (année de ses 20 ans). La libération commence par les hommes les plus âgés, ceux des classes 1887 à 1891. Les soldats des classes 1891 à 1906 sont libérés entre le 25 décembre 1918 et le 3 avril 1919. A cette date ,3 millions d’hommes ont été démobilisés sur les 5 millions de combattants à l’armistice. Les mécontentements montent parmi les soldats. En 1919, Joseph est sous les drapeaux depuis 6 ans.

Joseph LE TORRIELLEC – Registre militaire

Il sera finalement envoyé en congé illimité de démobilisation le 3 septembre 1919, dix mois après la fin de la guerre. Il peut enfin rentrer chez lui. A noter, il sera dégagé de toutes obligations militaires le 1er juin 1943, à l’âge de 50 ans, en pleine seconde guerre mondiale !

Comment revenir à la vie quand on a 26 ans et qu’on a vécu tout ça ?

« C’est la vie de ma génération […] Que feront nos pères si, un jour, nous nous levons et nous nous présentons devant eux pour réclamer des comptes ? Qu’attendent-ils de nous lorsque viendra l’époque où la guerre sera finie ? Pendant des années nous n’avons été occupés qu’à tuer ; ç’a été là notre première profession dans l’existence. Notre science de la vie se réduit à la mort. Qu’arrivera-t-il donc après cela ? Et que deviendrons-nous ?

« …] Si maintenant nous revenons dans nos foyers, nous sommes las, déprimés, vidés, sans racine et sans espoirs. Nous ne pourrons plus reprendre le dessus […]. Nous sommes inutiles à nous-mêmes. Nous grandirons; quelques-uns s’adapteront, d’autres se résigneront et beaucoup seront absolument désemparés ; les années s’écouleront et finalement, nous succomberons »

Erich Maria Remarque – A l’Ouest rien de nouveau

Joseph rentre au pays en septembre 1919. Jean, l’oncle de St-Nazaire, n’a été, lui, démobilisé qu’en 1920. Quand les garçons rentrent, sans doute ne trouvent-ils pas les choses vraiment modifiées dans cette Bretagne épargnée, loin des fronts. Juste les gens sont-ils peut-être un plus vieux, un peu plus pauvres et les champs un peu moins bien entretenus faute de bras.

Le vieux Louis, leur père, est toujours là. Je ne sais pas pour sa maman, Marie LE PRIOL. Les actes de décès dans les années post-guerre ne sont pas en ligne. Il faudrait se déplacer aux archives du Morbihan. Mais je sais que ma grand-mère n’en parle pas dans son carnet. Tout juste se souvient-elle de l’enterrement de son grand-père quand elle était petite et qu’elle portait à cette occasion une robe bleue en velours.

Ma grand-mère, Adèle LE TORRIELLEC, naîtra deux ans après le retour de son père à Camors.

A suivre…

Toutes mes pensées à Bruno

Sources : Le 118è Régiment d’Infanterie au cours de la guerre 1914-18 / Historique de 51è Régiment d’Infanterie

2 commentaires sur « Joseph Le Torriellec (1893-1969) – 1ère partie »

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